Le bas quartier. Pas la zone préférée de Sarojini, c'était sûr et certain. Mais elle venait rendre visite à sa mère tous les jeudis et puis bon... on était jeudi. Il faisait vraiment mauvais et elle avait dû faire un effort colossale pour se décider à venir dire bonjour à moman. Enfin, enfiler son imperméable et mettre ses tennis bon marché en simili-cuir blanc résistantes à l'eau n'était pas si compliqué, prendre le bus non plus, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, elle s'était presque endormie debout, recevant comme punition les drôles de regards des autres passagers. Imbéciles. "Aujourd'hui on est jeudi, vous avez oublié ?" c'est ce qu'elle avait envie de leur transmettre par la pensée, littéralement. Car oui elle le pouvait ! Mais dans un soupire elle avait éteint son mp3 et s'était concentrée sur le paysage magnifique de Baïmak toute vêtue de gris.

La pluie avait commencé à tapoter les vitres du véhicule comme des milliers de petits doigts. Désespoir. La vie était vraiment cruelle, enfin elle avait prévu le coup, son imperméable jaune fluorescent le criait aux passagers du bus de manière mesquine. Et puis la pluie c'était pas si mal... mouais, elle aurait du mal à s'en convaincre. Elle s'était grattée la joue d'un air particulièrement ennuyé avant de descendre du bus avant un tas d'autres personnes.

Sarojini avait marché, sous le ciel gris de Baïmak, sous la pluie à l'odeur de rouille, un long moment, les chaussures brunes de boue, la capuche de poussin rabattue sur le visage, des mèches de cheveux lui collant au front. La grande classe. Mais la jeune femme n'en avait rien à faire, la preuve, elle avait même sorti les moufles violettes de sa poche. Bref, la policière commettait à longueur de journée des crimes contre la mode, mais elle n'était sûrement pas la seule. Et puis, les gens qu'elle croisait dans la rue, elle n'allait certainement pas les revoir un jour.

La jeune femme s'arrêta et leva les yeux pour regarder un vieil immeuble en piteux état, totalement pourri. L'appartement dans lequel elle avait grandi se trouvait là-dedans et était intact même après toutes ces années. Sa mère aimait garder les choses comme elles étaient. Tout cela criait "Bienvenue à la maison Saroj !" Quelle horreur ! Rien que l'idée de mettre les pieds dans ce taudis lui donnait la nausée. Alors qu'elle s'apprêtait à appuyer sur la petite sonnette elle laissa mollement retomber son bras. Et puis zut ! Elle s'écroula sur la marche, laissa reposer son dos contre la porte et sorti un paquet de cigarette de son sac à dos. Y rien qu'ça pour calmer le stress ! La clope au bec, elle sorti un briquet en plastique transparent rouge qu'elle essaya d'allumer en vain. Son regard vitreux resta fixé sur le petit objet un long moment avant qu'elle laisse échapper un lourd soupire. Vide.